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L’Etude de l’extrême droite au risque du soupçon

Par Jean-Yves Camus

Dans les sociétés démocratiques d’après 1945, qui valorisent le consensus idéologique et social autant que les valeurs de progrès, le camp politique communément nommé « extrême-droite » symbolise l’antithèse des idées dominantes. Il est considéré comme le mal absolu et toute une série de dispositifs juridiques, politiques ou sociaux ont été mis en place pour en encadrer l’expression voire, dans certains pays, pour l’interdire. Ces mécanismes de relégation ou de « containment » se sont pendant longtemps doublés d’une autre forme de préjugé : jusqu’à la fin des années 1980, en France en particulier, l’extrême droite était tout simplement ignorée par les politologues,

 présentée dans le meilleur des cas comme une survivance marginale et souvent donnée pour un phénomène du passé, qui ne connaîtrait jamais de renouveau. L’irruption de ce que les chercheurs nomment la troisième vague des partis nationaux- populistes et leurs succès électoraux ont évidemment changé la situation, parfois avec des excès inverses. Ainsi, le nombre de livres consacrés à « l’extrême-droite » a littéralement explosé, celui des mémoires et thèses universitaires également, les articles de presse ne se comptent plus, de sorte qu’après n’avoir été nulle part, le « fascisme » semble être partout, le Front national français devenant, entre 1984 et 2007, une sorte d’astre autour duquel s’ordonnait l’ensemble du débat politique.

L’extrême droite devrait être un objet d’étude comme un autre mais elle ne l’est pas. Le chercheur, face à un sujet aussi chargé idéologiquement, a parfois du mal à rester neutre et à éviter le mélange entre ses (légitimes) opinions de citoyen et ses activités de scientifique. Pour avoir nous même un temps oublié de conserver cette distance nécessaire, dans des circonstances que Jean-Pierre Laurant a évoqué précédemment, il nous a semblé utile de tenter de décrire, avec l’expérience de plus de vingt ans de recherches sur le sujet, les différents procédés polémiques qui concourent à établir une logique permanente du soupçon, par laquelle l’étude de l’extrême droite perd souvent la sérénité et le recul nécessaires à la compréhension du phénomène.

La réduction au fascisme et au national-socialisme

L’extrême-droite est une catégorie politique éminemment problématique. Sans aller aussi loin que Pierre-André Taguieff, qui la considère comme scientifiquement invalide, nous estimons qu’elle recouvre des réalités tellement diverses que son usage est de moins en moins opérant, sauf comme facilité de langage. Il est en effet fort compliqué de justifier la mise en équivalence de Geert Wilders, politicien néerlandais classiquement conservateur avec une focalisation islamophobe lui tenant lieu de programme, avec les néo-nazis parodiques du NSDAP-AO dont le « führer » s’est construit un physique de clône de Hitler, les skinheads de Blood and Honour ou les populistes xénophobes du Parti norvégien du Progrès. Il existe d’ailleurs un tel nombre de définitions de l’extrême droite (le politologue néerlandais Cas Mudde en recensait 26 au début des années 2000), que le débat scientifique s’en trouve tout de suite obscurci.

En admettant même que l’on trouve à l’intitulé une certaine pertinence pour décrire les partis et mouvements se retrouvant sur le plus petit commun dénominateur du nationalisme, de la xénophobie, du populisme et d’une certaine méfiance envers la démocratie représentative et ses élites, encore faut-il ne pas tomber dans le travers qui consiste à systématiquement ramener l’extrême droite aux archétypes du fascisme, du national-socialisme et des mouvements nationalistes autoritaires des années 30. La reductio ad hitlerum est en effet le principal soupçon qui vise constamment l’extrême-droite. L’origine de ce raisonnement tronqué réside d’abord dans le statut de Mal absolu acquis par le fascisme et le nazisme après la découverte de la Shoah. Les conséquences pratiques de cette reductio ad hitlerum sont nombreuses. La première est que ce Mal absolu se juge à l’aune de l’antisémitisme, devenu l’épreuve décisive (litmus test) permettant de juger du caractère démocratique des partis et de l’admissibilité des opinions, davantage quand il s’agit de l’extrême droite que d‘autres familles politiques. Il en existe d’autres: la disqualification intellectuelle, l’ostracisme social, éventuellement les interdictions professionnelles et la limitation du droit à faire de la propagande politique.

Sans oublier les effets pervers générés par de telles dispositions d’esprit, du point de vue même des « antifascistes », à savoir le renforcement du sentiment de persécution des individus ainsi attaqués, la consolidation des théories du complot qu’ils propagent souvent et pour finir, le caractère politiquement inopérant de certaines formes sectaires d’antifascisme à réduire le vote d’extrême droite, puisqu’elles refusent de mettre en œuvre la déconstruction argumentée des idées adverses et le nécessaire débat avec leurs adversaires, qui sont les seules formes efficaces de l’action politique. Le résultat majeur du soupçon de crypto- fascisme et de crypto- nazisme est la production d’un antifascisme et même d’un « front républicain » qui « tournent à vide », ainsi que l’incapacité à comprendre le passé de l’extrême droite et son avenir.

En effet, si on pratique la reductio ad hitlerum, comment comprendre qu’il a existé des tensions, des périodes différentes, à l’intérieur du fascisme italien, sur les questions du racisme et de l’antisémitisme ? Comment appréhender le rapport complexe qui a existé entre phalangisme et franquisme, entre Chemises bleues portugaises et Estado Novo salazariste ? Il est alors impossible également de voir qu’à l’intérieur même du parti national-socialiste aient fait débat la question du nationalisme allemand versus l’idée raciale ou qu’aient pu être mises en question de l’intérieur les théories de Rosenberg et Darré. On signalera aussi, parce que cela a eu des conséquences importantes sur la manière dont la Nouvelle Droite a été reçue en France, que la reductio ad hitlerum rend impossible la bonne compréhension du discours et de la nature du grece : alors que le modèle de celui-ci est la Révolution Conservatrice allemande, qu’il prolonge, actualise et adapte au contexte français, il s’est trouvé décrit comme une officine pratiquant le travestissement volontaire d’un discours nazi, sous des apparences pseudo- intellectuelles.

Or, si le grece a bien utilisé à ses débuts des formulations racialisantes, il ne peut plus être considéré comme partie prenante de ce que Michael Billig appelait en 1981 « l’Internationale raciste », ce qui n’empêche pas l’argument de continuer à être servi contre Alain de Benoist en particulier, alors que celui-ci a, de toute évidence, considérablement évolué dans ses idées.

La reductio ad hitlerum ne fonctionne pas qu’à l’encontre de l’extrême droite, elle suit également des chemins plus retors. Ainsi ont émergé, dans le débat intellectuel confus autour de l’islamisme et de l’islam qui a lieu dans la période post-11 Septembre 2001, les notions de « fascisme vert «  et de « nazislamisme ». Ces catégories polémiques sont utilisées pour tenter de démontrer la nature intrinsèquement totalitaire de l’islamisme et dans le cas des deux formulations en question, l’identité complète des deux phénomènes politiques, sans qu’il soit vraiment possible de savoir ce qui est visé, l’islamisme ou l’islam en tant que religion. Le problème de ces formulations est qu’elles induisent l’idée selon laquelle le totalitarisme et même le génocide, ne peuvent être pensées qu’en comparaison avec le national-socialisme, ce que les crimes des Khmers rouges, le génocide rwandais et les crimes de guerre en ex-Yougoslavie démentent amplement. Plus encore : outre qu’elle obscurcit la compréhension de l’islamisme et des totalitarismes contemporains, la reductio ad hitlerum de l’islamisme donne un argument de taille à ceux qui, antisionistes radicaux et antisémites, s’empressent de retourner le raisonnement en tentant de démontrer que les « sionistes » et les israéliens se comportent « comme des nazis » vis-à-vis des palestiniens. Le fait que Daniel Pipes lui-même, dans le magazine néo-conservateur américain Frontpage, ait exprimé des doutes sur la pertinence du terme « Islamofascisme », employé par le président Bush, devrait inciter à une certaine prudence.

L’immutabilité des hommes et de leurs idées

Il existe une autre forme du soupçon qui rend complexe la recherche sur l’extrême-droite, c’est celle qui porte sur l’évolution des individus et de leurs idées, autrement dit, sur les trajectoires intellectuelles. En effet, si l’historien se doit de mentionner tel ou tel écrit, tel ou tel engagement militant, qu’un individu a pu avoir à 18 ou 20 ans ( ou même plus tard), il n’est ni honnête ni simplement conforme à la réalité, de considérer que cela résume une vie, ou que tout ce qui se produit après un engagement à l’extrême droite doit être lu, non comme une évolution sincère, mais comme une tentative calculée pour faire oublier, pour occulter, ou pour formuler de manière euphémisée, des idées extrémistes. Il existe un paradoxe à ce que des intellectuels ou des militants de gauche, théoriquement acquis à l’idée de l’améliorabilité de l’homme, essentialisent et fixent à ce point les pensées et les comportements. Le soupçon d’être restés fidèles à leurs idées premières pèse évidemment davantage sur ceux qui ont évolué que sur ceux qui n’ont pas varié, sur ceux qui ont acquis une visibilité dans le paysage intellectuel, politique ou médiatique, que sur les militants anonymes.

Le résultat est d’ailleurs de bloquer des évolutions personnelles au lieu de les faciliter. Ainsi dans le cas emblématique d’Alain de Benoist. Est-il cohérent de lui reprocher de continuer à contribuer à des publications classées à l’extrême-droite, alors que diverses campagnes médiatiques ont été mises en œuvre pour qu’il ne soit plus employé par la presse de droite conservatrice et que des critiques s’élèvent, sitôt qu’il est invité dans de grandes émissions de télévision, pour qu’il en soit tenu à l’écart ? Faut-il se focaliser sur les interviews qu’il donne encore à des journaux militants (qui d’ailleurs, comme Junge Freiheit, peuvent aussi être de qualité) ou lire cela comme une conséquence de sa marginalisation dans le débat intellectuel français, causée par l’ostracisme dont il a été victime, et ce en dépit d’une œuvre conséquente, qui donne à penser et qui pourrait être à l’origine d’un débat sans concessions portant sur le fonds ? Nous aborderons un autre exemple, révélateur des mécanismes journalistiques de soupçon. Récemment interrogés par un magazine grand public, la question nous fut posée de savoir si la présence au gouvernement de Patrick Devedjian, ancien militant du mouvement Occident, et au cabinet du ministre de l’Intérieur, de Gérard Gachet, ancien militant du Parti des Forces Nouvelles, ne signifiait pas que « les anciens de l’extrême droite étaient au pouvoir ». Voilà bien un vieux fantasme antifasciste : les militants d’extrême droite ( mais le schéma est aussi appliqué aux anciens trotskystes de manière récurrente) ne changeraient que pour donner le change et continueraient, « en secret » évidemment, à entretenir entre eux des relations fondées sur une commune volonté d’agir en réseau pour parvenir au pouvoir et faire avancer, non pas leurs idées actuelles, attestées par des déclarations, des actes et des écrits, mais leurs idées anciennes, datant de 40 ans.

Il existe pourtant une question pertinente à poser : celle de savoir en quoi le militantisme radical, de gauche comme de droite d’ailleurs, semble être une bonne école de formation pour l’exercice ultérieur de responsabilités dans des partis de gouvernement. On pourrait avancer le sens du sacrifice personnel, la force des convictions tranchées, le goût de la formation et du combat idéologique. On pourrait expliquer les évolutions personnelles par l’acquisition d’une maturité qui favorise le réalisme et par des cheminements intellectuels sur lesquels d’ailleurs quelques hommes politiques de droite régulièrement rappelés à leur passé extrémiste, se sont exprimés de manière cohérente et argumentée. Il semble toutefois que le soupçon ne soit jamais entièrement dissipé, signe du statut très particulier de l’extrême-droite dans le paysage politique français.

D’une part, ce soupçon porte sur la nature même des activités de ce courant politique : il est identifié à la violence, à la clandestinité et au complot, au « côté sombre » de la nature humaine. On le voit ainsi décrit comme un « orchestre noir » (Frédéric Laurent), poursuivant l’objectif de créer un « ive Reich » (Ladislas Farago) en suivant une « Piste noire » (Cesare de Simone). Ses activités sont souvent décrites sous des titres évoquant une approche policière (le « Dossier néo-nazisme » de Patrice Chairoff). Cette sorte de description, très fréquente dans les années 60 et 70, a certes été contrebalancée à partir de la fin des années 80 par la parution de nombreux ouvrages scientifiques, mais elle a contribué à forger une image durable encore renforcée par la manière sensationnaliste dont le journaliste rend compte en général, de la vie de l’extrême droite. D’autre part, le soupçon frappe l’extrême droite parce qu’elle est considérée comme une famille politique illégitime dans le consensus démocratique depuis la victoire des démocraties sur le nazisme et ses alliés. D’où cette conséquence que ceux qui s’en réclament encore ne peuvent être considérés que comme des adeptes du nazisme, du fascisme ou de la Révolution nationale, mais qu’il n’est pas admis que l’extrême droite puisse produire des constructions intellectuelles d’un quelconque intérêt et possédant une capacité d’innovation.

En conséquence, les adversaires de l’extrême droite pensent ne jamais avoir en face d’eux d’individus de valeur avec qui dialoguer et que, s’ils consentent à en identifier quelques-uns, ils refusent le débat au nom du principe qu’on ne doit pas débattre avec les représentants d’idéologies se rapportant aux « heures les plus sombres de notre histoire ». Il s’agit là d’une erreur considérable, à la fois parce que ce qui est désigné comme l’extrême droite comprend des penseurs ou des publications de valeur et parce que ce déni de compétence, débouchant sur l’absence de débat, n’élève pas le débat démocratique. Il est enfin indispensable de souligner deux autres conséquences du soupçon. La première est la marginalisation, dans l’université et le débat intellectuel médiatisé, de celles et ceux qui sont catalogués simplement comme « réactionnaires ». La seconde est l’impossibilité à admettre qu’on puisse à la fois être un militant politique radical et un chercheur de quelque qualité. Ainsi, Christian Bouchet est à la fois le dirigeant de nombreux groupes nationalistes-révolutionnaires français depuis la fin des années 70 et l’auteur d’une thèse non dénuée d’intérêt, soutenue sous la direction de Robert Jaulin et consacrée à « Aleisteir Crowley et le mouvement Thélémite ». Si les universités italiennes n’ont eu aucun mal à accueillir des chercheurs connus pour leur engagement militant (Francesco Ingravalle, Claudio Mutti, Alessandra Colla), l’université française ne le permet guère, excepté pour les proches des courants maurrassien et catholique traditionaliste.

On se doit enfin d’évoquer le schéma intellectuel fort courant dans les études sur l’extrême-droite, de la culpabilité par association et par transitivité. Son fonctionnement est simple : puisque l’extrême droite, comme toutes les mouvances politiques radicales, constitue un milieu relativement étroit et clos, où chaque militant a une forte chance d’avoir connu ou du moins croisé tout autre protagoniste de la mouvance, ce qui est attribuable de manière fondée à l’un peut l’être, par association infondée, aux autres. Ainsi se bâtissent, sur un mode policier, des raisonnements sans queue ni tête qui, ajoutés à la fréquente habitude de tronquer les citations et de recopier à l’envie les erreurs des autres, enlèvent à nombre d’études sur l’extrême droite une bonne partie de leur validité. Un exemple récent est donné par l’enquête, par ailleurs fouillée et non dénuée d’intérêt, qu’a publiée le 27 novembre 2008 l’hebdomadaire communiste italien Rinascita della Sinistra sur son confrère quotidien Rinascita, auto-proclamé journal de la « gauche nationale » et dirigé par des militants de l’extrême droite extra- parlementaire dans la filiation de Jean Thiriart et Franco Freda.

Le journal communiste indique ainsi que son confrère est devenu « de gauche, mais sur la première page de Rinascita apparaît toujours un dessin du visage de Nietszche, le même qui figurait sur la première page de Linea, le périodique de Pino Rauti dans lequel écrivait Marco Tarchi, aujourd’hui universitaire respecté ». Le paragraphe se termine sur une mention du fait que Marco Tarchi avait collaboré (dans les années 70) à Linea. La conclusion à laquelle aboutit tout lecteur profane et à laquelle le raisonnement de culpabilité par association invite à souscrire, est que la simple utilisation commune d’une référence à Nietzsche « prouve » la similitude des engagements politiques d’un quotidien connu pour son antisémitisme et son soutien au gouvernement iranien actuel et d’un ancien cadre exclu du msi devenu figure de proue de la Nouvelle Droite transalpine, puis dégagé de tout engagement militant. Peu importe que pratiquement tous les universitaires travaillant sur les populismes et les droites radicales aient publié dans la revue Trasgressioni, que dirige Marco Tarchi. L’association sans cohérence de son nom avec Rinascita et avec Pino Rauti, ancien soldat de la République de Salo resté fidèle au fascisme et inquiété par la justice pour son implication supposée dans des entreprises subversives, produit au final une mise en cause grave, dénuée de fondement sérieux mais potentiellement efficace.

L’ésotérisme, victime du soupçon d’extrémisme

Le processus intellectuel de délégitimation décrit ici fonctionne particulièrement bien, en France en tout cas, s’agissant de l’ésotérisme. L’étude de celui-ci est d’abord victime de la catégorisation polémique de l’œuvre de René Guénon et de Julius Evola. Comme la théorie du soupçon postule que l’œuvre des théoriciens de « l’extrême droite » est forcément univoque, on comprend bien que ces deux penseurs et leur œuvre à facettes soient facilement placés dans les cases « extrémiste réactionnaire » et « théoricien du fascisme ». Mais la double figure tutélaire de Guénon et d’Evola n’explique pas tout. La vague de littérature occultisante apparue dans le sillage de la revue Planète, en vulgarisant l’idée que la véritable nature du national-socialisme tenait dans les soi-disant « racines occultes » de celui-ci, a accrédité l’idée fausse selon laquelle toute recherche sur l’occultisme ou la tradition primordiale participe au fond d’une entreprise de réhabilitation ( même partielle) ou du moins de réévaluation du nazisme. La remise au goût du jour, dans les milieux nationalistes- révolutionnaires, d’auteurs comme Savitri Devi et Miguel Serrano, le succès des UFOlogues et de leurs légendes sur les « bases secrètes » du nazisme, contribuent à entretenir la légende du Reich occultiste, alors même que Christian Bouchet, qui diffuse ce type de littérature, explique lui-même que Maximiliani Portas travestissait la tradition hindouiste et n’avait rien d’une hindoue traditionnelle !

En outre, périodiquement, l’irruption dans le paysage médiatique de faits de société traités sous l’angle du sensationnalisme, réactive la mise en équivalence des spiritualités alternatives et de l’extrémisme de droite. Ainsi, malgré la récente mise au point savante d’Olivier Bobineau, se développe l’idée selon laquelle les musiques « violentes » que sont le black metal, le death metal et l’industriel, servent de vecteur au « satanisme » néo-nazi, sans que soit faite la nécessaire distinction entre satanisme- religion et satanisme parodique, ou entre luciférisme et culte de Satan. Les paganismes sont également décrits, au prétexte que la majorité de la « Nouvelle Droite » s’en réclame, comme des spiritualités fondées sur le culte de la race et de la force, de surcroît entachées de suspicion par une mise en association avec le nazisme. C’est ainsi que, contre toute vraisemblance, Friedrich Hielscher et Karl Maria Willigut se retrouvent promus au rang de mages occultes d’une Waffen SS ésotérique. L’étude savante de l’ésotérisme doit donc se frayer un chemin étroit entre le soupçon permanent d’être aux mains de militants droitiers travaillant à une entreprise concertée de banalisation des idéologies racialistes et les anathèmes de certains adeptes « orthodoxes » des religions monothéistes, qui voient en elle la promotion des déviances doctrinales, du relativisme et du syncrétisme. Notre conclusion sera d’ailleurs pour étendre notre critique de l’idéologie du soupçon, à la manière dont sont actuellement traitées les études religieuses en général. La prise de parole légitime, le magistère de la science médiatisée, avec les effets politiques et sociaux qui en découlent, sont en effet entre les mains de  spécialistes autoproclamés qui s’acharnent à vouloir démontrer que les adeptes orthodoxes des trois grandes religions monothéistes ( mais le raisonnement fonctionne aussi pour l’hindouisme) sont à des degrés divers, non seulement des « obscurantistes » mais surtout des « intégristes » aux pulsions fascistes. Cette catégorisation fourre-tout est appliquée à la fois aux Frères musulmans, aux colons juifs religieux de Judée- Samarie, à la « Moral Majority » américaine, à l’Opus Dei et au Bhartiya Janta Party indien. L’ensemble des procédés intellectuels évoqués dans cette communication démontre l’ampleur du travail qui reste à effectuer pour pouvoir étudier les radicalités politiques de droite en s’abstrayant, dans la lignée des travaux de Pierre-André Taguieff, des complaisances comme du mur opaque que demeurent le fascisme et le nazisme.

Première parution : Jean-Yves Camus, « L’Etude de l’extrême droite au risque du soupçon », Politica Hermetica, n°23, 2009.

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